LE FASCIA, L’INTERSTITIUM ET LE NOUVEL ORGANE
Un article a récemment fait le buzz dans les médias et agité le milieu scientifique. De nombreuses réactions des spécialistes du fascia ont été diffusées sur les réseaux sociaux.
Voici notre analyse de cet article.
Bonne lecture.
La revue Nature a publié une étude faisant état de découvertes sur la constitution de l’interstitium sous muqueux et des implications probables sur ses fonctions. Selon les auteurs, cette recherche pourrait apporter un éclairage nouveau sur « la fonction de tous les organes, de la plupart des tissus et des mécanismes de la plupart des maladies majeures ».
La presse s’est emparée du sujet et n’a pas hésité à titrer qu’un nouvel organe, le 80ème, aurait été découvert. Cela a suscité des réactions de la part des chercheurs et cliniciens sur le fascia qui considèrent qu’il ne s’agit pas d’une découverte mais d’une confirmation de l’omniprésence du fascia dans le corps humain et de son rôle dans le fonctionnement des grands systèmes.
Cette recherche montre à quel point le développement de l’imagerie médicale in-vivo permet de mieux observer l’intérieur du corps vivant et le monde fibrillaire qui en constitue l’architecture. Ce type d’observation rejoint en tout point les observations réalisées par le Dr Guimberteau (2005) dont les images font aujourd’hui référence dans le milieu scientifique. Il est d’ailleurs surprenant que les auteurs n’aient pas fait mention des travaux de ce dernier. Elle confirme également l’omniprésence du fascia, qui constitue l’interstitium décrit dans cet article.
Le terme « organe », employé pour décrire cet interstitium n’est pas nouveau : il a été évoqué dans les différents congrès de recherche sur le fascia et un article récent (Adstrum et al, 2017) a même proposé de parler maintenant de « système fascial » pour décrire à quel point ce tissu intégré à tous les systèmes corporels crée les conditions favorables à leur fonctionnement.
Les auteurs de l’article indiquent avoir découvert que l’interstitium est constitué d’espaces remplis de fluide lui permettant de protéger les organes et les tissus en amortissant les déformations et les chocs. Cette idée n’est pas tout à fait nouvelle puisque les différentes observations expérimentales du fascia ont toujours décrit le fascia comme un tissu visco-élastique jouant un rôle essentiel dans l’hydratation des tissus et la dynamique des fluides (Langevin et al, 2013).
Enfin, effectivement, ces nouvelles données rejoignent des hypothèses déjà formulées sur le rôle du fascia dans l’apparition des pathologies tels que l’œdème, la prolifération tumorale, la fibrose ou encore l’inflammation. Les observations des dysfonctions du fascia (contractilité, perte de glissement, épaississement, etc.) dans des situations pathologiques diverses telles que la lombalgie, la fibromyalgie ou le syndrome du côlon irritable font déjà l’objet de nombreuses publications (Bordoni et al, 2014 ; congrès Acupuncture, Oncology and Fascia, 2015).
Au final, cette recherche constitue une avancée de plus dans la connaissance du fascia et de son rôle joué dans le fonctionnement du corps humain. Elle confirme que ce n’est pas un tissu banal, mais qu’il constitue bel et bien un nouvel organe dont la particularité est d’être disséminé dans l’organisme entier. Les chercheurs et praticiens du fascia ne peuvent donc que se réjouir de cette nouvelle avancée qui consolide leur champ d’investigation.
Toutefois, nous constatons qu’il est peu fait référence dans ces échanges aux pionniers de l’ostéopathie et de la fasciathérapie qui, bien avant ces découvertes, ont accordé un rôle primordial au fascia dans la santé (Findley, 2013). Car il faut bien reconnaître que le rôle métabolique du fascia, son implication dans la dynamique liquidienne et dans la fonction de tous les autres composants du corps humain ont depuis longtemps été décrits par des ostéopathes de renom (Still, Sutherland, Becker, Bois).
La fasciathérapie s’est même développée en partie sur cette dimension liquidienne du fascia : « La normalisation est obtenue quand la sensation d’élasticité du fascia se transforme en un fluide pulsatile » (Bois, 1984) et « La pulsologie s’adresse au fascia, vivant, métabolique et liquidien » (Bois, 1984). Cette recherche montre que les avancées de la science instrumentale sont sans doute capables d’objectiver des facettes du fascia que la main et la perception humaine vivent et décrivent depuis longtemps.
C. Courraud
Références :
– Adstrum, Sue, Hedley, Gil, Schleip, Robert, et al. Defining the fascial system. Journal of bodywork and movement therapies, 2017, vol. 21, no 1, p. 173-177.
– Langevin, H. M., Nedergaard, M. and Howe, A. K. (2013), Cellular control of connective tissue matrix tension. J. Cell. Biochem., 114: 1714-1719. doi:10.1002/jcb.24521
– Bordoni B, Zanier E. Clinical and symptomatological reflections: the fascial system. In, J Multidiscip Healthc. 2014; 7: 401–411. Published online 2014 Sep 18. doi: 10.2147/JMDH.S68308. PMCID: PMC4173815
– Acupuncture, Oncology, and Fascia. Congress Osher Center for Integrative Medicine. Harvard Medical School and Brigham and Women’s Hospital (USA) 2015.
– Findley TW, Shalwala M. Fascia Research Congress evidence from the 100 year perspective of Andrew Taylor Still. J Bodyw Mov Ther. 2013;17(3):356–64.
– Bois D. Fascia, Sang, Rythmes, complices dans les pathologies fonctionnelles. SPEK, 1985.